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Se réapproprier son quartier, s’identifier à son pays

Editorial La Presse

 

SI une fenêtre d’un bâtiment est cassée et non réparée de suite, c’est une invitation tacite pour briser toutes les autres. La célèbre théorie de la fenêtre brisée est née d’un article de James Wilson, professeur de science politique à l’université de Californie et de George Kelling, professeur de criminologie dans une université du New Jersey. Les deux universitaires maintenant décédés, leur concept leur a cependant survécu, avaient démontré, à l’aide de statistiques, un lien de cause à effet entre la présence de vitres brisées et un taux élevé de criminalité.
Les deux chercheurs estiment que le fait de ne pas réparer une détérioration dans l’espace public entraîne systématiquement d’autres dégradations. Pire, la présence du carreau cassé dans un immeuble envoie le message que le bâtiment est abandonné et peut donc abriter des activités criminelles. Un îlot hors la loi où pourrait se déployer un comportement déviant sans pour autant risquer des représailles. Selon cette théorie donc, une fenêtre brisée non réparée envoie un signal que personne ne s’en préoccupe. En briser d’autres ne peut dès lors causer de tort à personne.
La théorie s’applique, selon les deux auteurs, aussi bien dans les cités populaires que dans les quartiers huppés. Le manque d’entretien de l’espace public encourage de facto les comportements déviants à s’exprimer, outre la présence d’autres facteurs nécessairement.
L’étude dite de la vitre brisée publiée en 1982 a été largement mise en œuvre aux Etats-Unis. Précisément dans la ville de New York, souvent citée comme un exemple concret de réussite. Les services de la ville, adoptant la politique de tolérance zéro, avaient commencé par réparer, nettoyer et évacuer systématiquement les déchets avant qu’ils ne s’accumulent. Les actions menées dans cette ville ont conduit à une baisse du taux de criminalité, chiffres à l’appui.
Revenons à notre pays. Derrière les amoncellements de détritus à chaque coin de rue, il y a bien quelqu’un qui a commencé par jeter le premier sachet en plastique, invitant tous les autres à faire pareil. Si la collecte et l’évacuation des déchets ménagers ne sont pas faites régulièrement, c’est-à-dire tous les jours, à heure fi xe, nous aurons l’environnement dans lequel nous vivons.
Pour ce faire, il faut que les services d’entretien des villes commencent par donner l’exemple. Parallèlement, il faudra prendre le temps de donner des leçons d’éducation civique à l’école et diffuser des spots sur divers supports et médias, pour inciter les adultes et les enfants, citoyens en devenir, à adopter des comportements civilisés, comme de ne pas jeter les mégots de cigarette et les déchets par terre et par la fenêtre de la voiture. Faute de quoi, il est quasi impossible de vouloir reconstruire un Etat sur des bases solides et des valeurs, avec un environnement urbain désordonné et insalubre et des individus affi chant fermement et sans vergogne leurs incivilités.
Les conditions environnementales et les comportements des gens dans la rue étant liés. C’est pourquoi la restauration des édifi ces publics et projets d’embellissement de la ville, actions en cours, procèdent de cette démarche. Celle de la mise en place progressive d’un cercle vertueux reliant l’entretien et le nettoyage urbains au comportement des Tunisiens. Afi n que chacun de nous y participe positivement, et commence à se réapproprier son quartier, sa ville et s’identifi er fi èrement à son pays.

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